Photographies : Felipe Ribon & Simon Thibaut

Un trou noir est un objet massif dont le champ gravitationnel est si intense qu’il empêche toute forme de matière ou de rayonnement de s’en échapper. De tels objets n’émettent donc pas de lumière et sont alors noirs. Plusieurs techniques permettent d’étudier les phénomènes qu’ils induisent sur leur environnement. À propos de l’avenir de l’humanité, Stephen W. Hawking, célèbre astrophysicien et cosmologiste, affirme que face à la surpopulation, à la surexploitation des ressources et à la destruction de notre environnement naturel, il sera assez difficile d’éviter un désastre dans les cent années à venir. Selon lui, notre seule chance de survie à long terme consiste à se disperser dans l’espace en colonisant d’autres planètes. Voilà pourquoi il est favorable aux vols spatiaux habités. Dans l’incapacité intellectuelle de concevoir des navettes spatiales d’une part, et n’étant pas tout à fait sûrs de faire partie du voyage d’autre part, nous préférons pour l’instant, en tant que designers, poursuivre la réflexion sur les façons de concevoir les objets sur Terre. Un aspect séduisant du design consiste à laisser penser que nos productions de designers contribuent systématiquement au progrès de la société alors qu’elles s’inscrivent, malgré nous, majoritairement dans le surplus et in fine dans la désagrégation. En effet, bien que la pensée créatrice du design génère des innovations pertinentes, elle s’engage néanmoins rarement en prenant en compte les nombreuses conséquences de la surproduction et de la surexploitation des ressources. Celles-là même qui engendrent cet étrange état des choses. Si le design assume sa vocation industrielle tout en prenant en compte ces enjeux de société, il nous faudrait alors créer des objets en plus qui auraient pour vocation de générer des objets en moins. Cela reviendrait à inventer en quelque sorte des Objets Trou Noir.

 

Absorber

 

La métaphore du trou noir repose sur l’idée d’absorption : engloutir, dissoudre, retenir, aspirer, résorber, agglomérer…Si l’on devait absorber les déchets, il faudrait alors produire à partir d’eux. Mais on ne ferait là que réinjecter une matière recyclée dans un système qui resterait le même. Il nous faudrait donc produire à partir des déchets ultimes. On pourrait imaginer des objets qui auraient la capacité de faire pénétrer en eux les conséquences néfastes de leur développement, en vue de les assimiler Et leur Adjoindre des fonctions de traitement, de transformation, de régénération, et la capacité de métamorphoser des éléments qui les entourent. Ce serait donc « penser l’absorption comme une forme productive par le moins ». Et si les objets s’absorbaient entre eux, se contenaient les uns dans les autres ?

 

Déspécialiser

 

Pour chaque tâche, il existe un, dix, cent objets spécialisés. Notre développement technique et commercial a engendré une multitude d’objets dont la quantité actuelle dépasse l’entendement. Cette profusion effarante peut se représenter par une arborescence, une généalogie dont l’extrémité des branches figure l’hyper spécialisation des choses. Nous faisons constamment l’expérience d’objets performants, et avons ainsi assimilé les gestes qui leur sont associés. Ayant acquis une connaissance des actions et même des fonctionnements, nous possédons donc en mémoire un savoir qui permet maintenant d’envisager la réalisation de ces mêmes actions avec des objets moins spécifiques. Partant de ce point de vue, nous pouvons alors déspécialiser les objets pour envisager des formes primitives contemporaines, au sens où elles se situent à l’origine d’une diversité d’applications. Il faudrait imaginer des hybridations formelles qui tentent la synthèse de fonctions.

 

Trans-former

 

Les objets techniques sont constitués de pièces détachées qui s’assemblent pour constituer un tout fonctionnel. Lorsqu’une pièce est défectueuse, il faut procéder à son remplacement sinon l’ensemble ne peut plus fonctionner. Le plus souvent il faut jeter le tout car il est de moins en moins possible de remplacer ou de réparer les composants. D’autre part, les pièces restantes sont inutilisables ; trop spécifiques, elles ne peuvent servir à autre chose qu’au système pour lequel elles ont été conçues. Cette condition d’exclusivité des objets techniques – où la pièce possède des propriétés réservées à un seul système d’opération – entraîne une obsolescence des objets, une limite des usages, un asservissement par la forme. De la pièce détaché, propriétaire et circonscrite, nous proposons de passer à l’idée de la pièce détachable. Chaque constituant pourrait ainsi être employé pour d’autres systèmes, d’autres situations, d’autres conditions. C’est alors envisager que chaque composant soit conçu à la fois précisément et de manière indéterminée. (pièces détachables) Que sa fin de vie ne soit plus assujettie aux conditions limitées qui lui ont données naissance et que d’autres applications puissent s’engager à partir d’elle.

 

Réversibilité

 

« Nous pourrions nous demander si le design ne devrait pas être un saut imaginaire à partir d’évènements présents vers des possibilités futures d’un passé potentiel ». Que l’on observe la surcharge des réseaux, les catastrophes climatiques ou les fluctuations erratiques des prix, les conditions de disponibilité des ressources (en eau, en énergie et plus généralement en matières premières) seront de plus en plus changeantes. On doit considérer cette intermittence – de quelques heures à quelques jours – et envisager que les objets aient la capacité de fonctionner malgré la variabilité des conditions extérieures. Nous souhaitons donc fournir aux objets une prédisposition à la réversibilité, et même à l’alternance. Produire aujourd’hui des objets qui intègrent les conditions de demain et essayer d’élaborer une esthétique fonctionnelle qui envisage la pénurie avec élégance. (vaisselle ménagère)

 

Trou Blanc

 

Il ne s’agit pas de produire des « kit-à-tout-faire », mais plutôt d’amorcer une décomposition de l’objet en parties, dont certaines combinaisons sont prévues et d’autres restent à composer. Nous pourrions peut-être envisager un design pour une économie – au deux sens du terme – où un objet pourrait être pris pour un autre. Le trou de ver est une structure géométrique étrange : « Cette espèce de tunnel connecterait le fond du trou noir à une région de l’univers appelée “fontaine blanche” [ou trou blanc] car elle fonctionne à l’inverse d’un trou noir […]. Les trous de ver pourraient interconnecter des régions distantes de l’univers et permettre des voyages interstellaires dans l’espace et dans le temps. Ils pourraient aussi relier une suite infinie d’univers parallèles. »
+ d’infos - d'infos